DE LA DISPARITION MIRACULEUSE DE LA DETTE, par François Leclerc

Billet invité

Les banques centrales sont-elles entrées dans une phase de ralentissement progressif de leurs mesures non-conventionnelles ? L’encre coule à flot à ce propos, mais le sujet est glissant : la Fed continue de prendre son temps et la BCE résiste fermement aux pressions qu’elle subit. Occupés à les scruter, les commentateurs en oublient la Banque du Japon, qui ne donne elle aucun signe en ce sens. Annoncer une normalisation de la politique monétaire des grandes banques centrales exprime au mieux un vœu qui n’est pas exaucé.

En trois ans, le bilan de la BoJ a triplé, en passe de rattraper celui de la Fed : il s’approche désormais des 4.000 milliards d’euros, le seuil que cette dernière a dépassé de 19 milliards, et représente 90% du PIB japonais. Impressionnant en soi, ce chiffre l’est encore plus si l’on considère son résultat sur la hausse de l’inflation, qui n’a été que de 0,3% en avril dernier. En dépit des injections massives de liquidités de la BoJ, celle-ci ne décolle toujours pas, et la consommation des particuliers reste atone.

Rien ne fait en soi obstacle à ce que le bilan de la banque centrale continue d’enfler, si ce n’est qu’elle détient déjà 42% de la totalité de la dette japonaise qu’elle achète actuellement au rythme annuel d’environ 640 milliards d’euros. Progressivement, la BoJ pourrait en venir à détenir la quasi-totalité de cette dette, une situation inédite qui satisferait ceux qui préconisent, faute d’autre solution à leurs yeux, l’achat de celle-ci par les banques centrales afin de l’absorber. Mais avec le danger qu’entretemps les taux obligataires augmentent, infligeant à la BoJ d’importantes pertes et créant une nouvelle situation inédite : pourra-t-elle alors supporter sans conséquences un tel déséquilibre à son bilan, ou ne restera-t-il pas à son actionnaire l’État qu’à la renflouer, recréant une dette qui avait disparu !

Une telle mécanique aurait une autre conséquence bien plus redoutable. La BoJ assécherait le marché d’un collatéral de plus en plus indispensable et, faute de garanties, le volume des transactions financières serait bridé, créant une situation on le pressent insupportable. Nous n’en sommes certes pas là, mais les monétaristes vont devoir aiguiser leur plume au train où vont les choses… On connaissait déjà la création ex nihilo de la monnaie par les banques commerciales, on va bientôt connaître la disparition miraculeuse de la dette.